Ensuite, il s’agit d’aborder des problèmes précis. Nous pourrions évoquer une longue liste de problèmes qui nous touchent à plus ou moins longue échéance et qui ressortent du domaine de la santé publique, de l’environnement, du développement durable, des émigrants. Nous nous limiterons ici à quelques problèmes qui furent, et restent à ce jour, des problèmes classique des «relations internationales.»
Commençons par ce problème qui, depuis l’antiquité, est au cœur du débat sur la gouvernance, celui de la violence organisée et de sa légitimité.
Aujourd’hui, avec les problèmes liés à la prolifération nucléaire et au terrorisme, avec aussi la remise en cause par certains du sacro-saint principe du respect de la souveraineté nationale et son corollaire, celui de la non-ingérence, ce sujet est d’une actualité brûlante.
De ce point de vue, les contestables élections présidentielles de 2000 aux Etats-Unis et l’invasion de l’Irak qui en est l’une des conséquences, ont doublement démontré que la démocratie – qui plus est dans le pays qui s’affiche comme son modèle universel – n’est pas capable de répondre au problème de la légitimité de l’usage de la violence organisée à partir du moment où un infime groupe d’individus (par exemple dans un quartier d’une ville de Floride) décide du sort d’un peuple entier et même d’une région (le Moyen-Orient) sans même savoir que leur choix aura un effet quelconque sur celle-ci. L’exemple israélien, dans le cadre du conflit au Proche-Orient, démontre comment l’action d’une démocratie par ailleurs exemplaire, se traduit dans les faits par une politique de puissance dure d’où est absente cette dimension morale pourtant à la base des principes démocratiques.
Par ailleurs, l’invasion de l’Irak décidée par le gouvernement américain démontre la futilité des principes traditionnels de la «raison d’État» dans un contexte géopolitique où l’usage de la force militaire est devenu extrêmement limitée, et d’une portée très faible – l’«hyperpuissance» étant incapable de s’imposer sur un théâtre secondaire. Au même moment, un usage multilatéral de la diplomatie, voire de la force militaire, ne serait-il pas utile au Darfour ou même au Zimbabwe, deux cas où la (très) mauvaise gouvernance est responsable de maux indescriptibles pour les populations touchées?
Or, ni les États concernés – et ceux qui devraient l’être – ne sont aujourd’hui capables de résoudre cette question cruciale de la légitimité de l’usage de la violence. Les Nations Unies, qui certes ont un certain poids, ne sont pas non plus capables de répondre à ce problème alors qu’elles ne peuvent pas remettre en cause les principes puisque ce sont les États qui forment cet organisme, et les plus puissants d’entre eux qui la dirigent.
Que faire? Pour l’heure, c’est l’opinion publique, en démocratie, qui est cause de l’évolution des mentalités dans ce domaine. C’est grâce à cette opinion publique et aux mouvements sociaux pour l’émancipation que s’est produite la décolonisation. C’est grâce à cette opinion publique – certains diront à cause d’elle – que les Etats-Unis ne peuvent peser de tout leur poids en Irak et ailleurs. Mais l’opinion publique évolue lentement et elle est manipulable, surtout à court terme, à la fois par les médias et, surtout, par les gouvernements.
Il faut donc aller plus loin pour bousculer des mentalités solidement ancrées dans l’idée traditionnelle que l’État est l’unique source de légitimité dans l’usage de la force et que l’exercice de ses prérogatives dans ce domaine touchent essentiellement à sa sécurité nationale ou du moins à ce que le gouvernement entend par ce concept finalement très malléable.
Se pose donc désormais le problème de savoir si une autre source de légitimité pourrait servir de boussole, sinon d’autorité, pour tout ce qui touche aux problèmes liés à l’usage de la violence organisée (principalement la force militaire mais pas uniquement). Et qu’elle serait cette source? Serait-ce une espèce de «Haute autorité de la gouvernance internationale» indépendante? Serait-ce un Conseil de sages ou un conseil «supra constitutionnel»? Serait-ce un comité de représentants des États, des gouvernements ou de la société civile? De toute manière, il s’agirait d’une institution indépendante et fonctionnant selon les principes les plus rigoureux de la démocratie et de l’éthique car c’est bien la nouveauté, savoir que l’éthique occupe une part importante des décisions.
La question mérite donc d’être posée même si les réticences seront au départ extrêmement élevées puisqu’une telle initiative enfreindrait la liberté d’action des États les plus puissants, et des autres aussi. Or, la mise sur pied d’une telle entité pourrait se faire, au départ, avec des moyens limités, avec l’idée que son succès grandissant augmenterait progressivement sa légitimité et son pouvoir de peser sur les grandes décisions.