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THE UN AND WORLD GOVERNANCE

Quels moyens ?

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THE UN AND WORLD GOVERNANCE

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Arnaud Blin, Gustavo Marin ¤ 7 January 2009 ¤
Translations: English . Español .

L’ONU occupe une place importante dans la conscience collective contemporaine. Qu’on la critique ou qu’on la défende, une chose est sûre : l’ONU existe. Elle fut omniprésente durant toute la durée de la guerre froide et elle reste importante aujourd’hui, malgré un prestige quelque peu amoindri.

Pourtant, au regard du prestige dont elle jouit et malgré les innombrables critiques et quolibets, beaucoup seraient surpris de constater que l’ONU, étant donné les moyens dont elle dispose, se rapproche beaucoup plus d’un micro État que du « super » État supra national auquel elle est associée, à tort d’ailleurs, dans les esprits. Avec un budget (de fonctionnement) annuel inférieur à US $2 milliards, et des dépenses totales en deçà des $15 milliards si l’on inclut toutes les agences et programmes du système onusien (FAO, OMS, UNESCO, UNICEF, etc.), l’ONU dispose de moyens financiers 40 fois inférieurs à ceux dont bénéficient le seul Pentagone (plus de $ 500 milliards, sans compter la « guerre contre la terreur » – environ $200 milliards).

Pour mettre les choses en perspective, les dépenses militaires annuelles, tous pays confondus, se chiffrent à $1000 milliards, ce qui veut dire qu’elles pourraient à elles seules financer l’ONU pour encore 67 ans au taux actuel… Le budget des États-Unis se monte quant à lui à $2730 milliards ; le plan de sauvetage de Wall Street (2008) à $700 milliards, soit 47 ans de financement de l’ONU... Les dépenses de l’ONU correspondent à peu près au budget annuel du Board of Education de la seule ville de New York (12,4 milliards). Ces chiffres démontrent entre autres choses que les pays qui financent l’ONU ne mettent à sa disposition qu’une infime partie de leur budget, ce qui traduit un manque de volonté de la part des pays membres de donner à l’ONU les moyens adéquats pour remplir ses mandats. On peut voir aussi comment les pays les plus riches peuvent de facto corrompre le bon déroulement des opérations onusiennes en rançonnant en quelque sorte ses besoins sur le long terme. Dans ce domaine, les États-Unis – le plus gros contributeur – n’ont cessé de jouer un jeu ambigu avec l’ONU, dont ils se servent quand leurs intérêts nationaux sont en jeu.

En d’autres termes, l’ONU dispose d’un budget infiniment plus petit qu’un pays de taille modeste, sans parler des États-Unis ni même de la France ou de l’Italie. En termes de puissance, l’ONU est inexistante. Ou plus exactement, sa puissance ne réside pas dans ses moyens mais dans ses capacités à influencer le cours des événements. Petit Poucet stratégique, l’ONU est néanmoins un acteur diplomatique de premier plan. Mais même son immense légitimité et son grand prestige – certes en baisse – ne peuvent l’empêcher de buter systématiquement contre les réalités matérielles. Ce qui fait que le gigantesque décalage qui sépare son influence de sa puissance réelle explique pour beaucoup les limites auxquelles elle est inextricablement confrontée. Si l’on ajoute à ce manque de moyens la déperdition qui est associée au fonctionnement d’un organisme qui comprend 192 pays représentant des dizaines d’aires culturelles et de familles linguistiques, on comprend rapidement que l’ONU est un peu le Quichotte face à ses moulins.

Pourtant, avec les années, l’ONU se voit charger de plus en plus de dossiers, y compris des dossiers lourds où est en jeu, ni plus ni moins, la survie de la planète. Pourquoi ? Tout simplement – nous y reviendrons – parce que les États, individuellement, sont dans une incapacité grandissante de prendre en charge les problèmes du monde actuel. Pourquoi, alors, ne fournissent-ils pas, enfin, les moyens nécessaires à l’ONU et une liberté d’action suffisante pour qu’elle puisse véritablement s’attaquer à ces problèmes ? La réponse simple est que, pour l’heure, les veilles habitudes perdurent et que l’« intérêt national » résiste face à la prise de conscience de l’intérêt collectif global. Deux obstacles empêchent une remise en cause de cette approche : l’incapacité à comprendre que les intérêts nationaux et collectifs sont de plus en plus proches et liés ; le fait que les gouvernants n’osent s’aventurer sur des terrains qui risquent de miner leur pouvoir ou de leur coûter des élections. Peut-être, aussi, une incapacité chez une majorité de dirigeants de comprendre la complexité du monde contemporain. Ce qui signifierait que nos systèmes politiques, conçus en d’autres temps, ne sont tout simplement plus adaptés à la complexité du monde. Vaste problème que l’ONU, bien évidemment, n’a pas fonction de résoudre.

Revenons à la question des moyens. Le budget de l’ONU provenant essentiellement des grandes puissances du moment, ce sont elles qui contrôlent d’une certaine façon sa puissance, son autorité, et sa direction. Si les États-Unis – on pourrait citer d’autres pays – n’allouent qu’une proportion infime de leur budget national à l’ONU (proportion qui n’a cessé de chuter avec les décennies) c’est bien parce qu’ils n’ont aucun désir de voir émerger une supra-puissance capable de les supplanter sur l’échiquier international.

Au regard de cette dure réalité, l’action de l’ONU n’en paraît que plus remarquable. Car, à l’exception du Vatican – dont le rôle, il n’est pas inutile de le rappeler, fut longtemps d’une importance capitale en matière de gouvernance, y compris de gouvernance internationale – l’impact de l’ONU est sans précédent historique. Mais cet impact se situe sur un espace particulier, l’ONU représentant d’une certaine manière la dimension morale et symbolique – on pourrait presque dire spirituelle – de tout ce qui gouverne la relation entre les peuples, là où les États gouvernent l’espace temporel.

Évidemment, l’ONU est sur le terrain. Elle y est même assez présente, notamment avec les casques bleus (70 000 soldats actuellement qui, comme on sait, appartiennent à des armées nationales). Mais là ne réside pas en fin de compte son essence. Les États-Unis n’avaient pas besoin de l’ONU pour aller en Irak. Néanmoins, le refus des Nations Unies de s’y engager les priva d’une caution morale qui, tout compte fait, n’est pas négligeable. Dans un contexte (de conflit) où les aspects psychologiques sont considérables, du fait notamment qu’en matière d’interventions extérieures l’opinion publique tient les dirigeants sur le long terme, le cautionnement moral de l’instance qui est la seule à avoir la légitimité de donner ou non ce cautionnement revêt une importance prépondérante. Le refus de l’ONU d’intervenir en Irak a influé sur le cours de cette guerre même si, au final, la raison d’être de l’ONU est précisément d’empêcher ce type de situation, suivant les principes de la sécurité collective qui constituent ses fondements.

Donc, au lieu de poser la question de savoir pourquoi l’ONU n’en fait pas plus, essayons un moment de poser le problème inverse : comment l’ONU a-t-elle fait pour occuper une telle place dans la gouvernance mondiale, sachant que ses moyens réels sont infimes ?

Essentiellement, l’influence de l’ONU dans le monde est inversement proportionnelle à sa puissance, cette dernière étant à géométrie variable selon le bon vouloir des membres permanents du Conseil de sécurité. Ce phénomène n’est pas une coïncidence et on peut même dire qu’il est en quelque sorte inscrit dans la Charte onusienne. Car ce sont les États qui ont conféré à l’ONU l’influence qui est la sienne en lui donnant le rôle de représentant permanent, ou d’ambassadeur si l’on préfère, de la communauté internationale, à travers la création de l’un des trois organes fondamentaux de l’ONU [1], le Secrétariat. Mais en un sens, l’ONU n’effectue qu’un travail de représentation, les États ayant en même temps jalousement sauvegardé la puissance qui émane des sources nationales individuelles et qui constitue la seule véritable monnaie d’échange de l’échiquier géostratégique, monnaie que ces États les plus « riches » ne distribuent qu’avec parcimonie et circonspection au Secrétaire général.

L’ONU est donc une sorte de conglomérat d’intérêts nationaux (des pays membres) qui opèrerait selon les principes de la philosophie utilitariste, soit la promotion du bien être du plus grand nombre. Néanmoins, en pratique, l’intérêt du plus grand nombre n’est promu que lorsqu’il n’entre pas en conflit avec celui des pays les plus puissants, soit l’aristocratie onusienne du « club des cinq ». L’esprit de la sécurité collective est donc entretenu de manière limitée, la realpolitik des grandes puissances pesant de tout son poids sur les Nations Unies avec une main invisible et lourde – et on voit à travers les tribulations de l’Assemblée générale que l’action des pays plus modestes obéit souvent aussi à l’égoïsme intrinsèque sous-jacent à l’intérêt national que défend chaque pays, du plus grand au plus petit.

Malgré tout, par rapport au régime international en vigueur avant l’ONU et la SDN, celui de l’équilibre des puissances (que certains dirigeants appellent à recréer aujourd’hui), le « régime onusien » constitue un pas en avant considérable puisqu’il rejette la primauté d’une politique gouvernée par les seuls rapports de force et par la hiérarchie des grandes puissances omnipotentes. C’est ce régime, certes inachevé puisqu’il doit conjuguer avec la realpolitik des rapports de forces traditionnels, qui a permis, avec l’aide active de l’ONU et de ses diverses agences spécialisées, de négocier le tournant de la décolonisation, y compris celle de l’URSS, et le passage essentiellement pacifique d’un monde qui comprenait 50 États en 1945 à un monde qui en compte presque quatre fois plus 60 ans plus tard.

Cette métamorphose du grand échiquier géopolitique est, avec la création de l’Union européenne, l’un des deux grands phénomènes politiques de la seconde moitié du 20e siècle. En intégrant les nouveaux États au sein de son système, l’ONU a joué un rôle de première importance dans le maintien de la stabilité globale du monde, rôle qui, d’ailleurs, a été largement sous-estimé. Dans ce domaine, c’est l’Assemblée générale, second organe essentiel, qui a eu ce rôle fédérateur. C’est dans cet organe que se manifeste la dimension « démocratique » de l’ONU puisque chaque nation, de la plus grande à la plus petite, a le même droit de vote.

Néanmoins, la création de l’ONU s’est également vue imposer de sérieuses restrictions par ses membres fondateurs. Le troisième pilier de l’ONU, le Conseil de sécurité (second dans la Charte, après l’Assemblée), a été créé en partie comme organe de maintien de la stabilité et de la sécurité internationale mais aussi, certains diraient surtout, comme un instrument permettant aux grandes puissances du moment – essentiellement les puissances ayant gagné la guerre, plus la France, autre grande puissance historique – de maintenir leur hégémonie sur les affaires du monde. A travers la Charte, qui scelle dans le marbre le rôle et la composition du Conseil de sécurité, les cinq grandes puissances du Conseil, armées qui plus est du droit de veto [2], tiennent la destiné de l’ONU entre leurs mains, en particulier dans le domaine qui leur tient le plus à cœur, celui de faire la guerre et la paix. Le Conseil de sécurité – 15 membres (depuis 1965) dont les 5 permanents – est autonome par rapport au Secrétariat et à l’Assemblée générale. À travers le Conseil de sécurité, l’ONU maintient artificiellement le statu quo de l’échiquier mondial de 1945, sachant que deux des cinq membres permanents, la France et la Grande-Bretagne, n’ont plus depuis longtemps un statut de puissance de premier rang, avec une Russie qui, depuis 1991, a également perdu de sa superbe. Pour ces pays, le renoncement à un statut prestigieux et à une influence correspondante – rappelons-nous de la harangue de Dominique de Villepin contre l’engagement en Irak – est aussi impensable que pour les deux autres membres du conseil que sont la Chine et les États-Unis. Au mieux, la France et la Grande-Bretagne pourraient dans un élan de générosité, certes improbable, transférer leur vote à l’Union européenne. On pourrait aussi penser à un élargissement, du reste improbable aussi en l’état des choses, des membres permanents du Conseil de sécurité qui accueilleraient l’Inde, le Japon, le Brésil – qui réclamait déjà un siège à la SDN et fut le premier à faire une demande à la création de l’ONU – et l’Afrique du Sud par exemple. Mais cela changerait-il fondamentalement les choses, au-delà de la symbolique ? Le Conseil de sécurité constitue la dimension aristocratique, prise dans son sens politique originel, de l’ONU, soit une élite figée, bien décidée à protéger ses privilèges et à maintenir la hiérarchie préétablie. Élargi ou pas, il restera comme tel.

On voit donc que l’ONU est un animal à deux têtes, où s’opposent une structure démocratique – certes boiteuse et inadéquate – à une structure aristocratique (atténuée, il est vrai par le roulement des membres non-permanents du Conseil), le Secrétariat, ou plus exactement le Secrétaire général, constituant la vitrine de cet édifice, à l’occasion sa cabine de pilotage. Malgré tout, cette structure fonctionne, d’une certaine façon, puisque chaque organe a une tâche spécifique qui est somme toute complémentaire avec les deux autres. L’Assemblée a pu permettre l’intégration des nouveaux membres et la crise de croissance de l’ONU. Le Conseil de sécurité, de par sa petite taille et la puissance de ses membres permanents, est capable de prendre une résolution rapide et même d’agir avec vivacité pour peu que tout le monde soit sur la même longueur d’onde. Le Secrétaire général a quant à lui une fonction primordiale puisqu’il est la voix et le visage des Nations Unies. Capable et visible, à l’image de Kofi Annan, son influence est réelle. Néanmoins, la sélection du Secrétaire général est trop tributaire des tractations politiques qui font que le candidat choisi n’est pas toujours à la hauteur de la tâche. Choisis la plupart du temps dans les rangs de la diplomatie, les secrétaires généraux sont souvent relativement effacés. Leur profil est autre que celui des grands dirigeants politiques et peut-être faudrait-il puiser les futurs secrétaires dans les rangs des anciens chefs d’État. Historiquement, les secrétaires généraux des Nations Unies font plutôt pâle figure. En comparaison, par exemple, aux dirigeants américains ou soviétiques des 50 dernières années, qui se souvient de Trygve Lie (1946-52) ou d’U Thant (1961-1971), les contemporains, respectivement, de Staline, Truman et Eisenhower, et puis de Kennedy, Johnson et Nixon, sans compter Mao Tse Toung, De Gaulle ou Churchill qui furent à la tête des autres pays membres permanents du Conseil de sécurité? Aujourd’hui, combien de personnes dans le monde peuvent citer le nom de l’actuel secrétaire général (Ban Ki-moon) ?

Quant au Conseil de sécurité, il est beaucoup trop enfermé dans les rivalités entre les membres permanents pour réellement peser de manière positive sur la stabilité internationale. L’Assemblée générale est de son côté souvent mue par la frustration compréhensible des pays à la périphérie du centre de gravité du pouvoir et qui profitent de la tribune de l’ONU pour faire valoir leur présence ou celle de leurs dirigeants.

Fondée d’une manière qui limite considérablement son aptitude aux changements, l’ONU n’a cessé depuis sa création de se voir reprocher injustement son incapacité à s’auto-réformer. Là encore, ce n’est pas l’institution en soi, encore moins l’organe du Secrétariat qui devraient être mis en cause comme elles le sont généralement, même si elles pourraient être gérés plus efficacement (comme le voulait K. Annan). Comme nous l’avons vu précédemment, l’ONU s’est sensiblement adaptée aux transformations qui ont modifié la configuration du monde géopolitique ces 60 dernières années, plus que les États en tous les cas. En matière de droits de l’homme par exemple – même si on peut critiquer le Conseil des droits de l’homme (en voie de réforme depuis qu’il a remplacé la Commission des droits de l’homme) – et dans les domaines de la pauvreté, de la santé ou de l’enfance, les agences de l’ONU ont accompli un travail remarquable, surtout au regard de leurs limitations en termes de moyens.

Que les Nations Unies doivent se réformer en profondeur, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Il reste que jusqu’à présent, elles en ont été incapables, même lorsque que l’influent Kofi Annan proposa son plan de réforme en 2005. Au-delà du problème épineux de la réforme, notamment du Conseil de sécurité que tout le monde, ou presque, réclame, sans pour autant se bercer d’illusions, on peut se demander si l’ONU, même réformée, constitue aujourd’hui la réponse principale aux problèmes auxquels le monde va être confronté dans les décennies à venir.

En d’autres termes, trois questions se posent aujourd’hui. La première, celle des réformes de l’ONU, n’est pas la plus importante même si c’est elle qui accapare les esprits, non sans raison d’ailleurs. Plus importante est la question de savoir si l’ONU incarne effectivement le système de sécurité collective global qu’elle est sensée représenter et si elle le fera (toujours ? enfin ?) demain. Enfin, se pose tout simplement la question de la sécurité collective, au-delà même de l’ONU : est-elle bien la réponse que l’on attendait, que l’on attend aujourd’hui et demain ?

[1En plus des trois piliers que sont l’Assemblée, le Conseil de sécurité et le Secrétariat, trois autres organes complètent le tableau : le Conseil économique et social, le Conseil de tutelle et la Cour internationale de Justice.

[2Utilisé environ 300 fois jusqu’à ce jour, en majorité par l’URSS/Russie et les États-Unis.

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