Jean-René Bachelet a effectué une carrière militaire complète dans l’armée de terre française jusqu’aux plus hauts niveaux de responsabilités. En tant qu’officier général, il a notamment commandé comme brigadier, le secteur de Sara...
Nous sommes immergés dans l’« air du temps ». Selon qu’il souffle dans une société donnée, en une période donnée, sur un sujet donné, on pense ceci, ou cela ; ou plutôt, on ne pense pas : ceci ou cela s’impose comme véridique, sans qu’il soit besoin d’argumenter, voire sans contestation possible. La plupart s’y abandonnent en toute inconscience, certains avec conviction ; quelques esprits libres, a contrario, le considèrent avec méfiance, voire scepticisme ; une minorité s’inscrit à contre-courant, parfois non sans risques.
Il n’est pas de domaine de l’activité humaine qui échappe peu ou prou à ce phénomène, aujourd’hui démultiplié par la révolution en cours dans les moyens d’information et de communication. Cet air du temps se forme-t-il au hasard d’influences multiples combinant leurs effets comme par percolation, ou bien résulte-t-il de l’action délibérée d’habiles chefs d’orchestre, ou bien encore un peu de tout cela ? Dans tous les cas, ne serait-ce pas une manifestation du mimétisme, dont René Girard a dévoilé le rôle clé dans le comportement humain ? Toujours est-il qu’il oriente les opinions et les comportements, comme un insidieux Zéphyr aussi bien qu’avec la brutalité de l’Aquilon. Effets de mode, idées dominantes, tendances lourdes, « politiquement correct » exercent ainsi ce qu’il faut bien appeler leur tyrannie dans la mesure où ces phénomènes ne souffrent pas d’alternative.
Qui pourra s’en abstraire ? Certainement pas le soldat, lui qui est délégataire du corps social pour faire usage, si nécessaire, de la force des armes qui lui sont confiées et qui doit puiser dans ce même corps social une indispensable légitimité, à la mesure de l’extravagance du pouvoir dont il est investi. En effet, outre le fait que la microsociété qu’est l’armée ne saurait être un corps étranger dans la société elle-même – mais cet aspect du problème ne sera pas traité ici –, l’air du temps s’exerce aussi dans le champ d’action du soldat : la politique au nom de laquelle il agit, la doctrine qui l’inspire, ses modes opératoires, l’image des partenaires ou bien des adversaires, les objectifs poursuivis, l’information qui est donnée de l’action, des effets ou des résultats de celle-ci, tout cela, à des degrés divers et selon les circonstances, est soumis à l’air du temps.
Ce document a été publié par la revue "Inflexions" numéro 14, juin 2010. La revue Inflexions est éditée par l'armée française. 14 rue Saint-Dominique, 75700 Paris SP07 France.