Par Equipe FNGM
Document de travail pour le Séminaire international
_ Biocivilisation pour la
_ Soutenabilité de la Vie
_ et de la Planète
En perspective de la Conférence Rio+20
_ Rio de Janeiro, du 9 au 12 août 2011
Quelle architecture du pouvoir, de l’échelle
locale vers l’échelle mondiale ?
Comment s’organiser? Comment s’organiser de manière juste et durable ? Comment
gouverner de manière efficace? Telles sont les questions, simples au départ, qui taraudent
philosophes, juristes et théologiens depuis l’Antiquité. Telles sont les questions que tentent
de résoudre peuples et responsables politiques, les seconds ayant souvent eu, il est vrai,
des réponses différentes des premiers. Voici quelques propositions élaborés dans ce document :
- Organiser de forums multi-acteurs articulés par filières,
_ - Constituer des ensembles géopolitiques à l'échelle régionale
_ - Élaborer un Indice de gouvernance mondiale
_ - Instituer un Tribunal international de l'environnement
_ - Constituer une force armée mondiale,
basée sur le volontariat, indépendante des États, régie
par le droit international en vigueur
I – Introduction
Dynamiques d'évolution et d'émergence d’une nouvelle gouvernance mondiale
• Une question éternelle aujourd'hui nouvellement posée
_ • La mondialisation requiert une architecture qui intègre mais dépasse les États-
Nations
_ • L'urgence et la complexité des problèmes est globalement en décalage avec nos
modes de gouvernance
_ • Poussées et freins à l'émergence d'une nouvelle gouvernance mondiale
_ • Un premier pas incontournable : de quelle société mondiale voulons-nous ?
II – Propositions pour une nouvelle
gouvernance mondiale
Organiser de forums multi-acteurs articulés par filières, clé de voûte d’une gouvernance
mondiale efficace
• Constituer des ensembles géopolitiques à l'échelle régionale
_ • Élaborer un Indice de gouvernance mondiale
_ • Instituer un Tribunal international de l'environnement
_ • Constituer une force armée mondiale, basée sur le volontariat, indépendante des
États, régie par le droit international
_ • Promouvoir à l'échelle locale de réseaux industriels et de services, articulés aux
niveaux régionaux et transnationaux par à un système de monnaies régionales
Ce document bénéficie du travail du groupe « gouvernance mondiale du » Collectif français Rio+20
Comment s’organiser? Comment s’organiser de manière juste et durable ? Comment
gouverner de manière efficace? Telles sont les questions, simples au départ, qui taraudent
philosophes, juristes et théologiens depuis l’Antiquité. Telles sont les questions que tentent
de résoudre peuples et responsables politiques, les seconds ayant souvent eu, il est vrai,
des réponses différentes des premiers. Qu’il s’agisse de la Grèce antique, de la grande
Perse, de l’Inde, de la Chine unifiée, ou des empires aztèques et incas, pour ne citer qu’eux,
la recherche de la meilleure organisation politique constitua, constitue, la base de toute
réflexion sur la gouvernance, et à fortiori sur la bonne gouvernance.
Pour autant, le vaste corpus qui s’est attaché à répondre à cette problématique qui définit
l’essence même de l’humanité s’est confiné pour l’essentiel à l’organisation de sociétés
fermées et pour la plupart, homogènes. Fermées de par leurs frontières et les limites de
leurs appareils d’État ; homogènes, puisqu’une culture dominante régissait la plupart du
temps les sociétés, y compris les sociétés pluriculturelles (comme l’Empire Ottoman ou
l’Empire Inca). Cette culture dominante, qui fut longtemps celle du Prince, est aujourd’hui
celle de la majorité dans les sociétés démocratiques modernes. Longtemps considérée, à
tort ou à raison, comme un facteur de conflit, l’hétérogénéité culturelle ou religieuse fut
d’ailleurs de manière significative la cible principale des architectes du premier ordre
transnational de l’histoire, celui de Westphalie, qui fixa comme première règle que la religion
du Prince soit celle de son peuple.
La philosophie politique s’est presque systématiquement fixée une limite spatiale, celle de la
cité, du royaume, de l’empire, de la république ou, plus récemment, de la nation ; les seules
exceptions à la règle – il en faut ! – comme la monarchie universelle de Dante ou la
république omnipotente de Hobbes, étant de facto des super États dont les concepteurs ne
faisaient que transmuter à l’échelle planétaire l’architecture de la cité. La période, qui
s’étendit de la moitié du 17e siècle jusqu’à la fin du vingtième, et qui marqua la fin des
empires, concomitante à l’émergence puis l’avènement de l'État nation, ne fit que renforcer
ce sentiment que l’espace de la gouvernance est essentiellement celui de l’État nation.
En 1648, une vaste cohorte de diplomates et de juristes mettait fin à l’un des conflits les
plus abjects de l’histoire et instaurait une nouvelle gouvernance pour l’Europe. Depuis lors,
le code de conduite des nations fut peu ou prou celui de l’ordre westphalien. Aujourd’hui,
cet ordre est mort. Il est désormais est impératif d’en faire son deuil et d’en inventer un
nouveau. Mais pour cela, il est vital de bien comprendre ce que fut cet ordre westphalien
dont l’esprit peut nous guider encore aujourd’hui.
La paix de Westphalie fut d’abord l’une des plus belles réussites de l’histoire en terme de
résolution de conflit puisqu’elle mit un terme aux guerres de religions qui empoisonnaient
l’Europe depuis plus d’un siècle. Mais la paix de Westphalie accomplit beaucoup plus
encore que cela : elle mit fin aux tentatives d’hégémonie impériale et facilita l’émergence de
l’État-nation moderne ; elle mit un terme à l’ingérence de l’église dans les affaires d’État ;
elle instaura un code de conduite des États à travers l’établissement d’un droit international
qui n’a cessé depuis de prendre de l’ampleur ; ce faisant, elle a posé des limites à la
violence organisée en définissant la légitimité de l’emploi de la force et en régulant la
pratique de la guerre ; elle mit au coeur des relations interétatiques la problématique des
droits de l’homme en imposant le principe de souveraineté nationale et de non-ingérence
dans les affaires internes des pays ; elle protégea tant que faire se peut l’intégrité des
petits États par rapport aux appétits des grands; elle proposa un système de contre-pouvoirs
censé empêché les tentatives d’hégémonie des États les plus ambitieux.
Si le système westphalien se délita à partir de la fin du 18e siècle jusqu’à agoniser au 20e
et 21e, ce fut avant tout parce que ce système était désigné pour l’Europe et non pour le
monde, pour des monarchies et non des républiques, pour un système géopolitique et
culturel hétérogène. Néanmoins, l’esprit de l’ordre westphalien nous éclaire encore
aujourd’hui dans notre quête d’une nouvelle gouvernance mondiale : le cheminement du
droit international, la défense des droits de l’homme, la limitation de la violence et la
régulation de l’usage de la force, la recherche d’une paix durable, l’établissement de contre-pouvoirs
restent les fondements de la gouvernance au 21e siècle. Mais de la même
manière que le monde du 17e siècle était en dynamique de rupture et nécessitait une
révolution politique, celui du 21e siècle, avec la mondialisation, la menace à l’environnement
et le problème des inégalités et de la sustainabilité doit impérativement et rapidement
changer. Aujourd’hui, la gouvernance est planétaire, le système monde est hétérogène et
divers. L’État-nation, qui naguère pouvait tout régler ou presque, doit faire appel à d’autres
acteurs avec d’autres compétences. De nouveaux contre-pouvoirs doivent être établis, y
compris pour éviter les abus de nouvelles sources de puissance. La défense des droits de
l’homme doit se conjuguer autrement, notamment pour ce qui concerne la problématique
de l’ingérence et du respect des souverainetés nationales. En somme, la mort du système
westphalien doit nous inciter à la réflexion : l’établissement d’une nouvelle gouvernance
mondiale gagnera à s’inspirer de l’esprit westphalien, tout en se débarrassant d’un héritage
parfois lourd qui, aujourd’hui, encore, nous empêche d’aller de l’avant.
Paradoxalement, le moment qui coïncida avec la chute du dernier empire, l’Union
soviétique, fut aussi celui qui vit l’émergence de l’idée, et même de la nécessité, d’élaborer
une gouvernance trans-nationale, une « gouvernance mondiale . Certes, » la problématique
de la guerre et de la paix avait depuis toujours généré une réflexion sur les relations entre
entités politiques, qu’on désigne communément sous l’appellation de « relations
internationales », mais pour l’essentiel, cette réflexion s’était focalisée autour de l’État. La
première tentative de dépassement des méthodes classiques de gestions de relations
internationales s’est d’ailleurs construite autour de l’État : la Société des Nations et sa fille,
l’Organisation des Nations Unies, constituèrent, et continue de le faire dans le cas de l’ONU,
une association d’États, d’où les limites inhérentes à leur structure de base. Les G8 et G20,
dont l’architecture originelle remonte aux années 1970, sont aussi structurés sur une base
étatique, avec une architecture plus simple que celle de la SDN ou de l’ONU, et, bien que
plus récente, plus archaïque dans sa philosophie puisque de la semi-démocratie de l’ONU,
les G8/G20 reprennent plutôt le modèle politique de l’aristocratie.
Or, la grande révolution du moment, et s’en est une, s’articule autour de deux événements
simultanés et liés d’une certaine manière l’un avec l’autre. Le premier événement est celui
de la mondialisation. La mondialisation n’est pas un phénomène nouveau mais elle a atteint
à la fin du 20e siècle un seuil critique où les divers phénomènes qui définissent et
découlent de cette mondialisation ont complètement dépassé les compétences et les
capacités des États, d’autant que ces derniers fonctionnent toujours, y compris au sein de
l’Union européenne, selon le principe dit de l’« intérêt national ».
Le second phénomène est la prise de conscience, qui a trouvé une première formulation
dans les années cinquante avec la menace d’un cataclysme nucléaire, puis dans les
années quatre-vingt avec les premiers indices sur la détérioration rapide et inquiétante de
l’environnement, que l’industrialisation des deux dernières siècles et tous les excès qui l’ont
accompagnée, ont aboutit à une étape critique de l’histoire où l’être humain est non
seulement susceptible de s’autodétruire en tant qu’espèce mais qu’il est également
susceptible de détruire sa planète.
Il découle de la mondialisation et de cette prise de conscience d’une réalité brutale que,
d’une part, nous sommes confrontés à des problèmes entièrement nouveaux et d’une
complexité et d’une urgence extrêmes (migrations, crises financières, dérèglements
écologiques, etc.) , et d’autre part, que nous ne disposons pas des modes de gouvernance
adaptés à la résolution de ces problèmes. Le sommet de Rio en 1992, et les sommets qui
ont suivis, ont d’une certaine façon bien répondu à la première composante en posant les
termes de la problématique et en alertant l’humanité à l’urgence de ces problèmes, tout en
les identifiant de manière systématique et précise.
En revanche, les avancées sur le plan de la gouvernance ont été jusqu’à présent
extrêmement décevantes, le sommet de Copenhague de 2009 illustrant de manière criante
combien est long le chemin qui nous reste à parcourir dans ce domaine et combien est
nécessaire l’élaboration de schémas pour une gouvernance mondiale effective et efficace.
Du reste, il ne faut pas baisser les bras, bien au contraire, et la tenue d’une grande
rencontre vingt ans après le premier sommet de la terre devrait offrir une belle opportunité
d’aborder en profondeur et sans détour la problématique de la gouvernance mondiale, car
celle-ci est véritablement au c ur de l’avenir de l’humanité et de oe la planète. Si nous devons
tirer une leçon des 20 dernières années, c’est qu’en l’état des choses, nous ne disposons
pas des structures adéquates pour aborder et résoudre tous ces problèmes qui
convergent aujourd’hui et face auxquels nous sommes finalement totalement impuissants
si ce n’est désemparé. Les États, à commencer par les grandes puissances et les
puissances émergentes et les Nations Unies, sont bien évidement des parties prenantes
incontournables et importantes dans l’élaboration de ces nouveaux schémas. Mais ils
constituent aussi d’une certaine manière une force d’inertie qu’il faudra impérativement
compenser et dépasser.
Comment aborder ce problème de gouvernance mondiale ? Celui-ci est, à la base, le
même que pour toute la philosophie politique avec ces deux questions : comment
préserver ce qui doit l’être ? Comment changer ce qui doit être changé dans nos modes
de gouvernance ? Toujours dans la perspective d’un progrès de l’action politique qui suit et
même anticipe l’évolution historique.
L’évolution du monde au cours des dernières décennies rend caduque une pratique des
relations internationales fondée sur les intérêts nationaux et les rapports de forces que le
système onusien a certes atténuée mais sans pour autant en avoir changé les
fondements.
Globalement, la pratique des relations internationales est amorale : elle suit les intérêts des
pays les plus puissants, parfois au détriment de l’intérêt général ou de ceux, plus faibles,
qui entravent leur chemin. S’il arrive parfois que tous les intérêts coïncident, il s’agit là plutôt
des fruits du hasard que d’une volonté concertée d’agir pour le bien du plus grand nombre.
Le ré-ordonnancement du monde géopolitique avec l’arrivée de puissances émergentes
modifie le statu quo mais sans changer la conduite des États.
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, avec la création de l’Organisation des
Nations Unies, la conception westphalienne de l'État - par rapport au plan interne l’unique
avec le monopole légitime de la force, et par rapport au plan externe un acteur unitaire,
rationnel et souverain est fortement remis en cause. Les deux principaux – arguments sont
la demande de plus de représentativité des acteurs non étatiques dans le système
international et aussi la prise de conscience progressive sur l’impossibilité de séparer le
thème de l’environnement entre les sphères de politique intérieure et extérieure.
Cette indéniable interdépendance entre les États sur plusieurs thèmes – par exemple
l’économie, l’environnement et les questions sanitaires - et la suprématie du principe
d’intérêt général collectif demandent non seulement une coopération plus approfondie dans
le système international mais aussi la reconnaissance du rôle majeur de la solidarité
internationale et des ses acteurs lors des procédures décisionnelles.
Malgré la facilitation pour adopter des accords ainsi que la capacité nourrir la coopération
permise par la mise en place des organisations internationales, on constate un décalage
démesuré entre ces organisations et les défis auxquels l’humanité fait face.
En ce qui concerne la société civile, des années d’engagement et de mobilisations dans la
lutte contre les inégalités sociales, contre le changement climatique et l’érosion de la
diversité biologique ainsi que des demandes pour une plus juste redistribution des
richesses ont permis des réels avancés en matière de développement. Néanmoins, la
situation dans laquelle se trouve notre planète et la majorité de la population mondiale
demeure très précaire : des famines, manque d’accès aux services essentiels, non-respect
aux Droits de l’Homme, dévastation des écosystèmes…
Cette situation dégradante n’a fait que s’empirer suite à l’éclatement de la crise financière
en 2008. Un gigantesque détournement des finances publiques fait pour sauver des
institutions financières et dans une moindre mesure des investissements en vue de la
relance économique mondiale ont été mis en place sans aucune analyse préalable de
réelles causes de la crise : la conception du système en elle-même.
En outre, le droit de la concurrence qui s’impose pour les activités économiques devient la
règle d’arbitrage pour les questions internationales. A l’heure actuelle, l’Organisation
Mondiale du Commerce est l’unique organisation internationale dotée d’un système de
règlement de différends contraignant. Ce qui l’amène à prendre de décisions dans d’autres
domaines que le commerce. L’inexistence ou encore l’impuissance des instances
d’arbitrage fait que cet organe de l’OMC établisse une jurisprudence qui définit les règles
internationales sans négociations préalables ainsi que donne au commerce une place
prépondérante dans le droit international.
La plus grande reconnaissance du rôle majeur des acteurs non-étatiques a posé de
nouveau, et plus fortement, la question de la transparence et de la démocratisation des
organisations internationales. Les acteurs de la société civile, dans plusieurs reprises sont
également les acteurs opérationnels des actions de la coopération internationale,
participent à la marge des procédures décisionnelles de ces organisations. Au-delà de ne
pas avoir d’attachement aux intérêts nationaux et pouvoir donc défendre plus légitiment les
questions transfrontalières, la société civile portera une « expertise du terrain » aux
négociations.
Même si les questions de développement demeurent crucial, on constante qu’à l’heure
actuelle il n’y a pas d’arène de négociation international pour cette thématique. Le Conseil
Économique et Social (ECOSOC) n’arrive pas à jouer son rôle de coordinateur des activités
onusiennes en matière de développement. De la même façon que la Commission du
Développement Durable ne réussi pas à assurer une cohérence entre les diverses
dimensions économiques, sociales et politiques du développement durable.
C'est pour quoi l’élaboration d’un système inédit de gouvernance mondiale doit aller plus
loin et poser la question de la recherche d’une société mondiale juste et responsable. Mais
comment définir «le bien» ; comment définir la bonne société (mondiale) ? Cette dimension
éthique et culturelle est vitale. C’est en explorant ses capacités et ses limites que nous
apprendront à gérer nos différences. C’est en posant les soubassements éthiques d’une
gouvernance mondiale que nous pourrons répondre à cette question fondamentale : est-ce
que l’autre est l’altérité ou est-ce une partie de nous mêmes? En termes pratiques, la
grande question éthique et culturelle qui doit être résolue avant que ne soit entreprise la
construction d’une authentique gouvernance mondiale est celle-ci : comment reconstruire
l’universel à partir des civilisations. Ce n’est qu’en abordant sans restriction ces questions
difficiles mais passionnantes que nous pourrons véritablement aller de l’avant. Rio +20
nous en donne l’opportunité.
Aujourd’hui, alors que les effets de la mondialisation et de la menace à l’environnement
dépassent le cadre des politiques nationales, il est impératif de redéfinir les règles de
conduite des États. Pour cela, il est nécessaire de poser les bases éthiques d’une pratique
des relations internationales qui défend les intérêts généraux (de tous) et collectifs (avec la
participation de tous) plutôt que les intérêts nationaux.
Dans les faits, la « moralisation » des relations internationales se traduit par une mise en
œuvre qui prône le multilatéralisme plutôt que l’unilatéralisme, la coopération plutôt que la
coercition, la défense des droits de l’homme et la réduction des inégalités plutôt que la
recherche du profit et la ponction des ressources naturelles des pays les plus pauvres.
Une telle transformation entraîne une révision des principes de gouvernance mondiale.
Pour prendre un exemple, le système dont nous avons hérité pose comme principe de
base le respect des souverainetés nationales et la non-ingérence dans les affaires internes
d’un pays. Or, ce principe est-il toujours valide ou souhaitable? Deux exemples récents,
celui du Japon et de la Libye nous interpellent à ce sujet mais sans qu’on ait véritablement
cherché à redéfinir les règles du jeu. Plus généralement, il faut désormais établir de
nouveaux principes à partir de notions qui, jusqu’à présent, étaient quasiment absentes des
relations internationales : la responsabilité collective, l’équité, la solidarité.
En résumé, ces nouveaux principes de gouvernance doivent transcender les frontières
nationales en responsabilisant les États dans leurs obligations individuelles et collectives
envers l’intérêt général, celui de la planète et de leurs habitants. Ces principes posent de
nouvelles contraintes en matière de légitimité de l’action collective, de compétence ,
d’exercice de la citoyenneté conforme au respect des droits de l’homme, de résolution des
tensions entre le local, le national, le global.
Le défi est d'élaborer une architecture de la gouvernance qui s’adapte aux données du
moment et se pose pour principe de répondre aux problèmes auxquels nous faisons face
à l’heure actuelle. Il s'agit d'établir les bases d’une nouvelle gouvernance mondiale à partir
de ces problèmes, avec des mécanismes et des institutions dévoués à les résoudre. Nous
avons vu que, d’une part, depuis plus de vingt ans, nous avons su identifier ces problèmes.
Que, d’autre part, les institutions et les mécanismes en place sont non seulement inadaptés
mais, beaucoup plus grave, qu’ils sont incapables de s’adapter, du moins suffisamment et
suffisamment vite.
A partir de là, comment avancer? Une première entrée concerne les acteurs. Il est évident
que d’autres acteurs, en dehors des États, sont parties prenantes dans l’élaboration d’une
nouvelle architecture qui prenne en compte l’économie mondialisée. Ces acteurs, de la
société civile notamment, ainsi que des entreprises respectueuses de l'environnement et
des droits des travailleurs, sont dorénavant incontournables. Plus vite prendront-ils part à la
mise en œuvre d’une gouvernance mondiale, plus vite aura-t-elle l’opportunité de de voir le
jour.
? Proposition : Organiser de forums multi-acteurs
articules par filières, clé de voûte d’une gouvernance
mondiale efficace
Les Forums Multi-Stakeholders, regroupant l’ensemble d’acteurs d’une filière ou d’un
domaine, représentent une innovation prometteuse. L’avantage de penser à cette structure
est qu’elle permet de dépasser le cadre purement territorial. Elle renforce l’assise
territoriale des acteurs, travailleurs, chefs d'entreprises, responsables de collectivités
locales, mais en se positionnant dans le cadre global de la filière, elle traverse les
territoires car elle met en avant les acteurs où ils se trouvent, depuis la localité jusqu'au
réseau mondial. Cette double articulation territoire/forum multi-stakeholders peut constituer
une véritable clé de voûte de la nouvelle architecture d'une gouvernance mondiale efficace.
La question des ensembles «géo-politiques » de la gouvernance mondiale est une
deuxième entrée. Dans ce domaine, il semble logique que les grands ensembles régionaux
ou « pluri-continentaux » soient les principaux éléments de cette nouvelle construction
qu’est la gouvernance mondiale.
? Proposition : Constituer des ensembles géopolitiques
a l’échelle régionale
L’un des traits essentiels qui marque déjà la nouvelle architecture de la
gouvernance
mondiale est une reconfiguration des territoires a l'échelle régionale, sous-continentale. Elle
remet en question les frontières, mais il ne faut pas demander la suppression des
frontières, les mentalités ne sont pas encore prêtes à cela. Cependant, on voit déjà
nettement la circulation des flux humains, économiques, commerciaux et technologiques,
etc. qui dépassent les frontières. Il est difficile de généraliser les traits spécifiques de ces
processus car ils sont variés. L'Union européenne, l'UNASUR en Amérique du Sud,
l'ASEAN en Asie, l'Union Africaine, sont des ensembles de dimensions économique et
politique diverses, mais on sait bien maintenant que les nouveaux ensembles régionaux
sont plus flexibles, s’adaptent plus à la configuration de marchés et des alliances politiques
ou diplomatiques. La reconfiguration transnationale des territoires correspond, par ailleurs,
mieux aux nouvelles matrices énergétiques renouvelables où l’essentiel est l’articulation
entre plusieurs sources qui demandent un système intégré d’approvisionnement d’énergie
éolienne, photovoltaïque, solaire thermique, marémotrice, biomasse, etc. où « le territoire
énergétique », pour l’appeler ainsi, déborde largement les frontières. La clé sera de trouver
d’autres mécanismes, sans passer seulement par les états, mais sans les ignorer non plus,
pour renforcer ces nouveaux territoires économiques, politiques, culturels, écologiques.
Le concept d’indicateurs ou d’indices est très controversé. C’est un fait, les indicateurs, y
compris ceux développés par le FMI et la Banque mondiale, sont exploités à des fins
souvent discutables. Sans même parler de la manière dont les indices sont utilisés, leur
conception et leur réalisation doivent être sujettes à beaucoup de prudence. Malgré les
nombreuses failles qui accompagnent les batteries d’indicateurs de toutes catégories, les
indicateurs peuvent être utilisés à bon escient.
? Proposition : Élaborer un Indice de gouvernance
mondiale
Des initiatives pour de nouveaux indicateurs de la richesse, de la production, de
développement durable ont déjà été entreprises. C’est dans cette optique qu'il faut
développer des indicateurs sur la gouvernance mondiale. Il s’agit d'une tâche qui
nécessitera encore beaucoup de travail et de réflexion, notamment pour développer des
indicateurs transnationaux qui dépassent les données nationales, pratiquement les seules
disponibles à l’heure actuelle. A terme, l’Indice de gouvernance mondiale (IGM) pourrait
devenir un standard incontournable dans ce domaine.
Il est nécessaire de développer les règles internationales existantes, voire même d'établir
des règles supranationales, aussi bien pour définir de manière légitime un ordre climatique
et les normes permettant d'en assurer la permanence que pour réguler les différentes
situations conflictuelles qui découlent de la disposition de ressources limitées, que ce soit
en matière d'énergie, d'eau ou de terres fertiles.
? Proposition : Instituer un Tribunal international de
l'environnement
La nécessité d'imposer des contraintes qui soient acceptées et respectées par les parties
en cause impose de construire des normes de droit qui apparaissent comme légitimes et
soient donc acceptées comme telles. Si les États nationaux réussissent à se mettre
d'accord sur de nouvelles règles instituant des obligations pesant sur toutes les nations et
les firmes de la planète, par exemple en matière d'émission de gaz à effet de serre, de
pollution ou de consommation énergétique, il resterait à faire exécuter ce droit mondial.
Pour cela, des organes de surveillance doivent être mis en place pour observer qui
exécute et qui n'exécute pas ces règles. Plus encore, des organismes supranationaux de
police et de justice doivent être en mesure de sanctionner les États ou les firmes,
nationales et transnationales, qui se dispensent de suivre ces règles de droit mondial.
Une force armée mondiale capable d’empêcher les guerres en cours et les nouvelles
guerres qui grondent non seulement au Moyen Orient, en Asie, en Afrique mais dans tous
les continents est devenue une nécessite historique urgente. Cette nécessité est ressentie
surtout par les peuples qui subissent les conflits meurtriers mais également par toute la
"communauté mondiale" qui a besoin de cette force pour éviter les guerres et, on ne sait
jamais, sa propre autodestruction (par exemple, si la puissance nucléaire se déchaîne en
force).
? Proposition : Constituer une force armée mondiale,
basée sur le volontariat, indépendante des États, régie
par le droit international en vigueur
Le problème est que l'on n’a pas (encore ?) construit une communauté mondiale. Nous
avons dit que l’ONU ne la représente pas complètement. Comment fait-on ? Sous quelle
autorité placer cette armée mondiale ? Il est évident que la placer sous le commandement
de l'OTAN serait "inapproprié" pour ne pas dire autre chose. La question de la construction
de la communauté mondiale s’articule alors avec la reconfiguration des territoires à
l'échelle régionale et continentale. On devrait arriver à une nouvelle articulation des
territoires, sans trop les figer et sans les faire dépendre seulement des États. Mais cette
armée mondiale ne doit pas être éparpillée dans les territoires. On voit bien là "la distance"
qui nous sépare d’une architecture soutenable de la gouvernance mondiale. Dans tous les
cas, proposer une force armée mondiale, basée sur le volontariat, indépendante des États,
régie par le droit international (lequel existe bel et bien déjà) nous fait pousser la réflexion
parce qu’elle nous oblige à penser "la charpente" qui tiendrait et protégerait la nouvelle
architecture de la gouvernance mondiale d’un monde plus sûr et plus pacifique.
La problématique de l’écologie, celle de l’économie, y compris l’économie verte, celle des
inégalités sociales, surtout l’extrême pauvreté, constituent autant d’entrées qui
permettraient, individuellement ou collectivement, d’établir une feuille de route permettant de
poser les premiers jalons d’une gouvernance mondiale dont la première exigence serait de
protéger l’environnement et réduire les inégalités.
? Proposition : Promouvoir a l’échelle locale de réseaux
industriels et de services, articules aux niveaux
régionaux et transnationaux par un système de
monnaies régionales correspondant aux différents types
de biens
(Les biens) qui s'épuisent en étant consommés, ceux qui sont en quantité finie, ceux qui se
divisent en se partageant mais sont en quantité indéterminée, ceux qui se multiplient par
l'échange). Mettre tous les biens dans le seul panier du marché capitaliste est un erreur
monumentale de l'idéologie néolibérale et la nouvelle économie qui émerge doit mettre en
œuvre non seulement un système de production et de consommation de nouveaux, mais
également un système d'échange basé sur d'autres valeurs que la quête du profit, telles
que la solidarité, la responsabilité, la dignité, le "bien être".