Par Klaus Dingwerth
Cet article cherche à fournir des réponses à une question précise et une autre, générale : Comment évaluer la performance de la Commission Mondiale des Barrages quant à sa légitimité démocratique ? Et que nous dit, plus généralement, l'évaluation de la performance de la commission à propos des processus mondiaux de prise de décision ? Partant de ces questions, l'article présente deux conclusions principales. D'abord, plusieurs raisons peuvent conduire à questionner la légitimité démocratique du processus de production de normes de la Commission Mondiale des Barrages. Ensuite, les difficultés rencontrées pour déterminer la légitimité de la commission par rapport à d'autres mécanismes de prise de décision sont révélatrices d'une compréhension théorique insuffisante de ce qu'implique, dans la pratique, l'idée de gouvernance démocratique au-delà de l'État-nation.
L'auteur soutient que la Commission Mondiale des Barrages (CMB) est un bon point de départ pour appréhender les mécanismes de légitimité des processus mondiaux de prise de décision. Fondé en 1998, ce réseau tri-sectoriel composé de membres des gouvernements, de la société civile et du monde l'entreprise, a élaboré, après deux ans de réflexions, un catalogue de principes et orientations pour la construction future de barrages.
L'évolution de la CMB affiche un bilan mitigé mesuré en fonction de normes idéales de légitimité démocratique. D'un côté, le processus a réussi une assez large participation d'acteurs concernés et les recommandations qui en sont issues sont fondés sur l'adhésion des groupes des principales parties prenantes. De l'autre, le modèle de répartition en trois catégories d'acteurs, (inter)gouvernementaux, entreprises et société civile, ne représente pas correctement la réalité des acteurs concernés. Le fait même qu'un groupe réduit et sélect d'experts ait décidé de ce que constituait les groupes de parties prenantes peut difficilement être légitimé du point de vue de la théorie démocratique. De plus, la CMB a accordé un traitement égal à toutes les parties intéressées, alors qu'une approche davantage fondée sur les droits aurait donné lieu à une considération bien plus différenciée quant à qui il faudrait inclure et de quelles manières.
L'évaluation de la CMB dans une perspective de légitimité démocratique devrait également inclure une comparaison entre la CMB comme exemple de production de normes par le publique et le privé et un processus de négociation intergouvernemental comme exemple de production de normes par le publique. Le résultat d'une telle comparaison serait, vraisemblablement, que les deux processus souffrent de différentes formes de déficits démocratiques. Par exemple, si la production de normes par le publique et le privée inclut un champ plus large de parties prenantes qu'un processus intergouvernemental, il ne comporte pas d'obligation formelle de transparence, notamment pour les ONG et les entreprises.
Ces difficultés montrent que nous sommes encore loin d'une compréhension théorique de ce qu'implique l'idée d'une gouvernance démocratique au-delà de de la nation en termes pratiques et concrets. Par conséquent, l'évaluation normative de la politique mondiale affronte des défis similaires à ceux de l'analyse empirique. Pour ce dernier, l'auteur suggère une révision du cadre conceptuel. Comme exemple, il cite la proposition de James Roseneau de ne plus parler de politique internationale, mais plutôt de gouvernance mondiale.
Source : Global Governance num. 11 (2005), pp. 65-83.