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Les 70 ans de l’ONU

Date de création

Jeudi, avril 14, 2016 - 09:16

Drôle d’anniversaire que celui des Nations Unies ! L’annonce en grande pompe des (17) Objectifs du Développement Durable s’est faiteblackboulée à New York par la cacophonie autour de la Syrie, mélange de genre détonnant qui illustre bien les contradictions de l’ONU. Après le passage du pape François dans ces mêmes lieux et son message d’espoir, l’intervention des chefs d’Etat sur la tribune onusienne paraissait bien falote et creuse. Dommage car contrairement au Vatican, l’ONU peut se targuer d’avoir – indirectement mais effectivement - ces fameuses « divisions » qui, théoriquement, devraient lui donner les moyens de ses ambitieuses déclarations. Pour autant, comme chacun sait, l’ONU n’a jamais disposé de l’autorité globale dont jouit le moindre potentat d’une république bananière sur son pré carré. Mais remettons les choses en perspective car quoiqu’on puisse dire sur l’ONU, une chose est certaine : elle se sera inscrite durablement dans l’histoire du XXe siècle, et dans l’histoire tout court.

C’est en 1648 qu’on peut retracer ses lointaines origines avec les Traités de Westphalie qui tentent d’imprimer au monde, en commençant par l’Europe, qui deviendra bientôt son épicentre, sa toute première feuille de route avec la création d’un système fondé en partie sur le droit international, en partie sur l’équilibre des puissances. Deuxième étape de cette tentative d’ordonner ce qui, pour l’essentiel, est un chaos mu par les rapports de forces, le Congrès de Vienne invente en 1815,sur des bases westphaliennes, le Concert des Nations dont les mécanismes complexes ne sauront endiguer le raz de marée nationaliste qui va finalement emporter l’Europe en 1914 après l’avoir déjà bien ravagée durant les décennies précédant la Grande Guerre.

La troisième étape est la plus radicale. Avec la Société des Nations(SDN) qui naît des décombres de la guerre, on passe d’un proto-système à un régime de gouvernance internationale véritablement révolutionnaire qui modifie de fond en comble les règles et les mécanismes de la gestion de la puissance. Las, ce régime est bien trop en avance sur son temps et il se pose comme un cheveu sur la soupe sur un monde qui n’a su ou voulu se défaire de ses atavismes. In fine, la SDN échoue misérablement avant d’expirer en catimini à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

La quatrième étape du ré-ordonnancement du monde est, avec la création de l’Organisation des Nations Unies, celui du compromis. Si La SDN est au Concert des Nations ce que la voiture électrique est à la voiture à moteur atmosphérique, l’ONU constitue le modèle hybride. En mariant un système d’équilibre des puissances aux mécanismes de la sécurité collective, Roosevelt tente de concilier le monde tel qu’il est avec le monde tel qu’on voudrait qu’il soit. Et, de fait, il contribue à créer une institution viable et – le temps va le prouver – durable. Mais en limitant ses possibilités, il créédans le même temps une institution bâtarde qui est incapable de peser suffisamment sur les affaires du monde pour prétendre le changer. Et, pour en faire une institution solide, il la prive des mécanismes susceptibles de la voir se réformer. Ce qui fait que Soixante-dix ans après les faits, l’ONU est toujours là, semblable à elle-même, vaillante et parfois courageuse et même efficace mais toujours dans l’incapacité d’imprimer une direction à un environnement géopolitique (et géoéconomique) sensiblement étranger à celui qui était en vigueur en 1945 et qui s’est fabriqué essentiellement sans les Nations Unies.

Pourtant, malgré ses déficiences et ses limitations, pour le meilleur et pour le pire, l’ONU reste depuis 1945 la pièce maîtresse de la gouvernance mondiale. L’opportunité majeure de remédier à cet état de fait est gâchée en 1991 lorsque, avec la chute de l’URSS, les instances concernées ne jugent pas nécessaire de doter le monde nouveau d’une institution adaptée à ses nouveaux besoins. Le soi-disant « nouvel ordre du monde » de Gorbatchev et Bush I n’est guère plus qu’un slogan qui s’affiche sur une coquille vide. De fait, en 1991, avec la Russie hors-jeu, l’Europe, comme toujours, passive et effacée, une Chine pas encore émergée, il revient aux Etats-Unis de prendre le taureau par les cornes. Mais Bush I n’est pas Roosevelt et on préfère à Washington cupidement profiter du « moment unipolaire » qui, loin de durer un siècle comme prévu, ne perdurequ’une petite décennie. L’opportunité s’était de toute façon envolée et l’on se contente alors de lancer un projet onusien grandiloquent, et certes louable, celui des Objectifs du Millénaire, dont la portée, dans les faits, est restée bien limitée par rapport aux nombreux défis du moment. Avec le nouveau grand chantier de 2015, encore une fois, on se contente de soigner quelques symptômes sans aller chercher la racine du malaiseprofond qui se déploie quotidiennement un peu plus avant.

Certes, pour pallier aux déficiences institutionnelles de l’ONU, l’émergence d’une société civile internationale permet d’aborder certains des problèmes du monde actuel mais la nature diffuse de cette société civile embryonnaire en limite la portée. Quant à l’action des Etats, à travers ou sans l’ONU, elle est, avec le temps, de plus en plus en décalage avec les problèmes globaux nécessitant des solutions globales ou, à minima, plurilatérale. L’incompréhensible incapacité de l’Union Européenne à organiser sa politique étrangère et sécuritaire commune est peut-être l’une des plus grosses déceptions de ces dernières décennies dans le domaine de la gouvernance trans-étatique et rien ne laisse croire que l’Europe sorte prochainement de son carcan.

Pour l’heure, il reste donc, pour ceux qui veulent bien y croire, l’espoir irrémédiablement déçu de voir l’ONU se réformer et l’espoir réel, mais loin d’être assuré, de voir une institutionnalisation effective de la globalisation par le truchement d’une société civile mondiale en devenir. Malgré tout, les Nations Unies et leurs Objectifs de développement durable auront notre soutien inconditionnel ou presque, en espérant que le « machin qu’on appelle l’ONU » ne fera pas obstacle à l’institutionnalisation d’une gouvernance mondiale nécessaire et même indispensable.

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