Par Arnaud Blin
L’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis le 8 novembre 2016 est un événement qui risque fort de marquer l’histoire du 21e siècle. Cette élection, outre qu’elle signale un changement de cap pour le peuple étasunien, va redéfinir le développement et l’évolution de la gouvernance mondiale.
Dans son idéal, l’architecture de la gouvernance mondiale vise à établir des processus et des institutions susceptibles de dépasser le cadre des politiques fondées sur les rapports de force et la raison d’Etat. Ces politiques, dès lors qu’elles ne sont pas arrimées à un système de normes et de contrepoids, débouchent logiquement sur des luttes de pouvoir qui conduisent presque systématiquement à des conflits armés. Et ces politiques, on le constate quotidiennement, sont insuffisantes pour traiter des problèmes urgents de planète, c’est-à-dire ceux qui dépassent le cadre étroit des intérêts nationaux. Or, à mesure que ces problèmes transnationaux et globaux s’amplifient et se multiplient et les limites de ces politiques sont de plus en plus criantes. Aujourd’hui comme hier, le système onusien est insuffisant pour prévenir une grosse conflagration ; il n’est pas conçu pour pallier les déficiences d’une gouvernance mondiale essentiellement dépendante de l’humeur des Etats les plus puissants. A la base, la gouvernance mondiale réclame des efforts vers des résolutions et des actions multilatérales. A un second niveau, la gouvernance mondiale vise à établir un système de régulation des échanges politiques, économiques, financiers et autres et à renforcer les règles et les normes du droit international. A un troisième niveau, la gouvernance mondiale tente d’impliquer des parties prenantes issues de la société civile, les plus amènes, souvent, à apporter des solutions que ni les Etats ni les entreprises multinationales sont capables d’assurer, quand bien même ils le souhaiteraient.
Malheureusement, dans tous ces domaines, Donald Trump entend enclencher la marche arrière et il va très probablement miner toutes les tentatives d’aller de l’avant qui pourraient réduire l’influence des Etats-Unis. Sa vision de la politique internationale est fondée sur une conception extrêmement étroite de la raison d’Etat et des rapports de forces. En d’autres termes, l’idée d’un intérêt global qui supplanterait les intérêts nationaux n’est plus du tout de mise et la politique de Washington va être basée durant au moins quatre années sur la conception d’America first, bien pire dans les faits que l’isolationnisme classique affiché durant la campagne. Attendons-nous donc à ce que Washington torpille toutes les initiatives multilatérales, dans des domaines comme la sécurité, la régulation des marchés financiers, les problèmes liés aux migrants ou à l’environnement. A un moment de l’histoire où la Chine et la Russie sont également engagées dans un processus de repli nationaliste et les risques de conflits, directs ou indirects, parmi les trois premières puissances de l’échiquier apparaissent soudainement beaucoup plus élevés qu’hier.
Quelle sera la grande stratégie de Washington ? La stratégie du chaos qu’affectionne Trumpet qui lui a permis de remporter l’élection, a pour but de jeter la confusion et de générer les conflits entre les uns et les autres, avec l’idée de tirer les marrons du feu de ce chaos. Ses positions xénophobes et islamophobes vont probablement se traduire par une ligne dure au Moyen Orient, avec tous les risques qu’une telle attitude peut engendrer. Par rapport aux rares institutions multilatérales comme l’ONU et l’OTAN, Trump annonce déjà vouloir remettre en question leur vocation et leur raison d’être. Même s’il sera amené dans les faits à tempérer cette attitude, sa rhétorique va jeter un sentiment d’incertitude qui risque d’apporter davantage d’instabilité.Vis-à-vis de l’environnement, Trumpcommence à s’entourer de négationnistes du réchauffement climatique. Le soutien des Etats-Unis aux accords de la CPO 21a de fortes chances de voler en éclat et de compromettre irrémédiablement l’avenir de ce fragile processus. Plus généralement, la Maison blanche ne va pas hésiter à exploiter la puissance des Etats-Unis pour appuyer sa politique extérieure. Par rapport à la Chine et la Russie, Washington tentera de faire peser la balance contre la première avec une alliance de circonstance avec la seconde, et puis vice-versa.
En conclusion, l’Amérique de Trump ne va pas se contenter d’être absente des débats sur l’avenir de la gouvernance mondiale mais elle va s’employer à annihiler tous les efforts pouvant aller dans son élaboration et dans sa mise en oeuvre. Certes, l’Amérique n’est pas seule dans le monde mais son poids est tel qu’elle peut faire dérailler bon nombre d’initiatives. A terme, un des effets de la présidence de Trump sera un déclin probable du pays et de son influence. Mais avant cela, la superpuissance agira comme telle. Il n’est pas inutile de rappeler combien fut néfaste l’abandon de la Société des nations par Washington après la Première Guerre mondiale. La SDN se maintint en vie mais sans ce soutien vital, elle périclita et fut incapable de prévenir les conflits qui conduisirent à la Seconde Guerre mondiale. Or, la SDN fut la toute première esquisse d’une architecture de la gouvernance mondiale digne de ce nomet, à ce jour, de loin la plus ambitieuse. Mais sans le soutien actif des Etats-Unis, elle fut irrémédiablement condamnée.
Aujourd’hui, il devient impératif que la communauté internationale se mobilise pour faire contrepoids. Et, traditionnellement, la fonction première de tout système de gouvernance trans-étatique, qu’il soit régional, continental ou global, est d’empêcher un élément perturbateur d’imposer son hégémonie sur tout l’ensemble etde générer une instabilité chronique à la source des guerres et des misères en tous genre. L’architecture de la gouvernance mondiale doit être élaborée pour régler les grands problèmes de demain. Mais elle doit aussi se doter rapidement des moyens d’empêcher l’Amérique de Trump ou la Russie de Poutine d’imposer à la planète un agenda réactionnaire dont les effets ne peuvent être que néfastes, pour les Etasuniens, les Russes mais aussi pour les milliards d’individus qui n’ont jamais pu être consulté sur des élections qui, pourtant, nous concernent tous.
D’évidence, le processus démocratique qui gouverne la politique des Etats conduit potentiellement à des actions qui, sur le plan global, sont foncièrement anti-démocratiques. Cette contradiction intrinsèque à la structure actuelle de notre monde va devenir d’autant plus intolérable que le processus d’interdépendance s’accélère. Malgré tous, un autre processus est en marche, celui du trans-localisme qui, à mesure qu’il va prendre de l’ampleur, pourrait inverser la vapeur. L’émergence avec ce processus d’une société civile transnationale donne l’espoir que, face aux forces réactionnaires, les mouvements citoyens sauront insuffler un vent de démocratie bénéfique à tous plutôt qu’à une minorité de privilégiés peu soucieuse du bien-être général.