Par Pierre Beckouche
Après une vingtaine d'années de dérégulation, il semble que nous soyons en train de dépasser l'ère du néolibéralisme dogmatique pour entrer dans celle d'une re-régulation ; l'opposition, présupposée par les néolibéraux, entre États et marchés, convainc de moins en moins. Cela ne signifie pas un retour au scénario de l'État-nation. Une convergence apparaît sur l'idée que cette régulation nouvelle se fera autant, voire davantage à l'échelle des régions (les macro-régions : Alena, Asie orientale, Euromed...) que du globe. Un véritable engouement régional saisit même différents courants d'analyse, les régions étant vues comme les territoires optimaux pour les transnationales autant que pour le retour à une régulation publique.
Cette note s'appuie sur plusieurs travaux consacrés à la thèse "régionale" au sens de grands ensembles plurinationaux, et sur la réponse politique au défi de la mondialisation des entreprises.
Il y a quelques années, l'auteur, Kimon Valaskakis, ancien ambassadeur du Canada à l'OCDE, avait proposé trois scénarios sur la prospective de la régulation publique planétaire :
- le marché et les transnationales décident et discréditent la régulation publique, scénario repoussoir présenté comme le plus vraisemblable ;
- une gouvernance mondiale, scénario désirable mais peu vraisemblable ;
- une gouvernance régionale, c'est-à-dire de grands ensembles de dimension continentale.
Pour des raisons de faisabilité, l'auteur avait préféré ce dernier scénario. Parmi ces raisons il y avait « la préservation des intérêts des producteurs et des populations vis-à-vis des courants d'échanges mondiaux, quitte à trouver un terme plus acceptable que celui de protectionnisme ». Cette autonomisation, selon Valaskakis, « permettrait de re-coupler les espaces économiques et politiques qui ont été séparés par la mondialisation ». Il s'agirait d'une mondialisation par étapes, où la souveraineté serait graduellement transférée des États-nations à ces organisations régionales qui ensuite négocieraient des accords intercontinentaux. « Au lieu de négocier à 200 États-nations, on réduirait le nombre des intervenants à une dizaine de groupements régionaux ».
Cette option régionale est rejointe par l'analyse du Conseil d'Analyse Économique, selon laquelle si d'une part, le modèle des clubs est de moins en moins accepté, de l'autre la complexité des processus de négociations accroît son avantage en termes d'efficacité, et « dans la pratique il faut bien que certains pays s'entendent d'abord, et cherchent ensuite à élargir les bases de leur accord ».
Un autre argument en faveur de la régulation régionale est la légitimité démocratique. Les institutions globales sont « loin » des populations, il n'existe pas (encore ?) de société civile internationale ou de réelle « communauté internationale ». Ce déficit démocratique peut être comblé à l'échelle régionale, comme le montre le succès difficile mais réel du parlement européen ; il ne peut sans doute pas l'être à l'échelle globale. Or dès lors que la mondialisation ne fait plus l'objet d'un consensus, la question de la légitimité démocratique se pose. C'est la critique du politologue français Pierre Rosanvallon à propos du déficit démocratique de tout gouvernement mondial, compte tenu de la « nécessité du sentiment d'appartenance ». C'est sur cette base régionale que la représentation des pays, notamment des pays pauvres, pourrait se faire dans les instances mondiales.
Enfin, la notion de « biens publics transnationaux », notion centrale des analystes de la régulation internationale, est déclinable à l'échelle régionale. Par exemple : la pollution des mers, les droits sociaux (plus comparables au sein d'une même aire continentale car posés comme une norme absolue à l'échelle mondiale ils peuvent apparaître comme une machine de guerre des occidentaux laminant les avantages comparatifs des pays pauvres), le patrimoine culturel...
Source: Site web du Departement de Géographie de l'Ecole Normale Supérieure (Paris, France)